Face à une pression immobilière croissante, la colocation s’est naturellement imposée comme un mode de vie plus abordable et convivial. Et le législateur luxembourgeois ne l’a pas ignorée : une législation spécifique encadrant la colocation a vu le jour par la Loi du 23 juillet 2024 portant modification de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation et modifiant certaines dispositions du Code civil.

Objectif affiché ? Clarifier les règles, sécuriser les colocataires, donner un cadre à une réalité jusque-là peu réglementée.

Mais une fois les textes votés, une question persiste : cette législation est-elle réellement obligatoire ? Et surtout, les bailleurs y adhèrent-ils vraiment ? Spoiler : pas vraiment.

La colocation, une solution évidente…

D’un point de vue pratique, pour certains la colocation est devenue incontournable, surtout pour les nouveaux arrivés, et au moins pendant un certain temps. Elle permet de réduire les coûts, de vivre dans des logements plus spacieux, et de favoriser la mixité sociale.

… mais pas si simple à encadrer

La réforme de 2024 a introduit un cadre légal spécifique pour la colocation, en l’intégrant dans la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation.

Dans les grandes lignes, cette réforme :

  • définit clairement la colocation comme un contrat unique signé par plusieurs locataires ;
  • impose la désignation d’un colocataire “référent” chargé de centraliser les échanges avec le bailleur ;
  • prévoit que la sous-location à des colocataires successifs n’est plus possible sans l’accord express du propriétaire ;
  • rend le montant du loyer encadré pour les logements soumis à la loi sur le bail d’habitation.

Mais voilà : ce joli cadre théorique semble, dans la pratique, peu suivi. Et pour cause : cette législation ne s’applique pas automatiquement à toutes les colocations.

Une législation qui n’est pas d’application de plein droit

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le régime légal de la colocation n’est pas imposé automatiquement à tous les logements occupés par plusieurs personnes.

En effet, il ne s’applique que si les parties ont expressément convenu qu’il s’agit d’une colocation au sens de la loi. Autrement dit : il faut que le bailleur y adhère, avec application du régime correspondant.

Dans la pratique ? Les bailleurs semblent l’éviter.

Ils préfèrent plutôt :

  • soit un bail unique signé par un seul locataire, qui sous-loue ensuite (avec ou sans autorisation réelle) à d’autres occupants ;
  • soit plusieurs baux individuels, chacun portant sur une chambre, ce qui les dédouane de nombreuses obligations du régime de la colocation légale.

Ce flou permet de contourner les obligations imposées par la réforme, notamment la limitation du loyer ou la difficulté de faire évoluer la composition de la colocation.

Pourquoi les propriétaires sont-ils frileux ?

Force est de constater que cette législation complique sérieusement la vie des bailleurs.

Parmi les principales critiques qu’ils formulent :

  • Temps et gestion : la gestion de colocations est plus chronophage, déjà pour la mise en place de la convention de colocation et aussi en cas de litiges entre colocataires.
  • Perte de flexibilité : changer un colocataire devient plus administratif, et nécessite parfois un avenant au contrat ;
  • Encadrement du loyer : dans certains cas, le loyer doit être justifié par la valeur d’investissement du bien, ce qui limite la rentabilité dans des zones où la demande est pourtant forte ;
  • Risque accru : la solidarité entre colocataires peut créer des situations floues en cas de départ non anticipé.

Résultat : beaucoup de propriétaires préfèrent ne pas opter pour ce régime, et sont parfaitement satisfaits de la situation antérieure, en dehors de ce régime proposé par la nouvelle loi.

Des locataires pas toujours motivés

De leur côté, les colocataires sont également confrontés à des complications administratives liées à la conclusion d’une convention de colocation, pensent souvent être couverts par la loi, alors qu’ils ne le sont pas forcément. Sans clause explicite dans leur contrat, ils peuvent se retrouver dans des situations juridiquement bancales :

  • en cas de départ, ils doivent parfois trouver eux-mêmes un remplaçant et faire valider son profil par le bailleur (ou même par les autres colocataires) ;
  • certains sont sous-locataires non déclarés, sans aucun droit réel vis-à-vis du logement ;
  • d’autres encore ignorent qu’ils sont solidairement responsables du paiement du loyer, même si ce n’est pas formellement écrit dans leur contrat.

Le manque d’information, combiné à une législation peu lisible et appliquée de manière discrétionnaire, laisse parfois place à une insécurité juridique latente.

Une réforme bien intentionnée, mais mal accueillie

Soyons clairs : l’intention derrière cette réforme était louable. Offrir un cadre légal à la colocation permet en théorie de rassurer toutes les parties, de stabiliser les rapports locatifs, et d’éviter les abus.

Mais dans les faits, le cadre est perçu comme créant trop de charges administratives, mal adapté à la réalité du terrain, et surtout… facultatif. Ce qui, avouons-le, le rend largement inopérant.

En résumé

  • Oui, la colocation a le vent en poupe au Luxembourg.
  • Oui, une réforme a été votée pour mieux l’encadrer.
  • Mais non, cette législation ne s’applique pas de plein droit, et les bailleurs y adhèrent rarement.
  • Résultat : une loi présente sur le papier, mais largement ignorée dans les faits.

Par Me Mario DI STEFANO, Managing Partner – Avocat à la Cour, DSM Avocats à la Cour.