De nombreux opérateurs économiques et notamment des groupes internationaux ainsi que des entreprises artisanales ayant des activités dans plusieurs pays limitrophes se sont plaints de l’introduction par la loi du 26 juillet 2023 dans la loi du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales (la « Loi de 2011« ) de la nécessité d’une présence physique permanente dans l’établissement de la personne assurant la gestion journalière de l’entreprise. Cette condition avait été critiquée comme irréaliste et empêchant les entreprises de s’organiser de façon efficace.
Cette condition de présence physique avait été insérée dans le projet de loi pour faire face à l’opposition formelle du Conseil d’État concernant les conditions de résidence et de présence du dirigeant initialement prévues.
La Chambre des Métiers avait déjà noté[1] que le projet de loi devait prévoir d’assouplir la condition pour le dirigeant d’assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise dans la mesure où le dirigeant devrait pouvoir résider n’importe où dans l’Espace Économique Européen pourvu qu’il démontre une présence régulière dans l’établissement au Luxembourg. La Chambre des Métiers relevait toutefois que cet amendement semblait adopter une position diamétralement opposée, en aggravant la condition du dirigeant d’assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise par l’obligation de sa présence physique. La Chambre des Métiers a également regretté que la portée de l’accumulation des termes effectivement, en permanence et par une présence physique, n’ait pas été exposée plus amplement par les auteurs des amendements.
De même, la Chambre de Commerce s’est opposée fermement à l’ajout de la condition de présence physique dans l’établissement qui viendrait indûment alourdir le droit d’établissement, n’irait pas dans le sens de la modernisation, et ne serait ni réaliste, ni nécessaire.[2]
Cependant, le Conseil d’État dans son examen de cet amendement[3] a choisi de lever son opposition formelle au texte initial et n’a pas critiqué l’amendement.
Le Ministre des Classes Moyennes a, de son côté, mis en évidence l’importance d’un tel critère de présence physique « afin d’éviter que le dirigeant ne soit que fictif ».[4]
C’est donc avec cet ajout que la loi du 26 juillet 2023 a été votée, apparemment sans que la question de la conformité avec le droit européen n’ait été évoquée. Pourtant, cette question aurait dû s’imposer.
Cette disposition légale fait maintenant l’objet d’une procédure d’infraction qui vient d’être ouverte par la Commission Européenne, pour non-conformité de la législation luxembourgeoise avec la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.[5]
La Commission est d’avis que cette exigence de présence physique permanente, ensemble avec la nécessité d’une autorisation générale pour l’établissement de toute personne physique ou morale exerçant des professions indépendantes dans l’artisanat, le commerce ou l’industrie ou certaines professions libérales, constituent des obstacles injustifiés à la liberté d’établissement, qui est l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union Européenne. La Commission envoie donc une lettre de mise en demeure informelle au Luxembourg, qui dispose d’un délai de deux mois pour y répondre et remédier aux manquements relevés par la Commission. En l’absence de réponse satisfaisante, la Commission pourrait décider d’émettre un avis motivé. Si, par la suite la Commission devait toujours constater une contrariété du droit luxembourgeois avec le droit européen, elle pourrait porter l’affaire devant la Cour de Justice de l’Union Européenne dans le cadre d’un recours en manquement.
Nous pouvons donc espérer que cette disposition qui semble née sans véritable réflexion quant à son application dans la pratique et sa conformité avec le droit européen soit remaniée de façon à prévoir des conditions flexibles et en ligne avec la mobilité des dirigeants qui est une réalité actuelle.
Par Me Mario DI STEFANO, Managing Partner – Avocat à la Cour, DSM Avocats à la Cour.
[1] Projet de Loi n° 7989 ; avis de la Chambre des Métiers du 6 juin 2023, p.2
[2] Projet de Loi n° 7989 ; avis de la Chambre de Commerce du 10 juillet 2023, p.2 et 5
[3] Projet de Loi n° 7989 ; avis complémentaire du Conseil d’État du 26 juin 2023, p. 2
[4] Projet de Loi n° 7989 ; procès-verbal de la réunion du 8 mai 2023 de la Commission des Classes Moyennes et du Tourisme, p. 7
[5] INFR(2024)2216;