Article du journal AGEFI Luxembourg édition octobre 2021. Voir le PDF en cliquant ici.
Par Me Renaud LE SQUEREN et Me Matthieu VISSE.
Introduction
Outil juridique utile lors de la transmission d’une entreprise, le pacte d’actionnaires permet aussi bien de faciliter en amont les discussions entre les actionnaires/associés présents et futurs et de prévoir leur cohabitation qui doit permettre la transmission de l’entreprise dans les meilleures conditions.
Qu’est-ce qu’un pacte d’actionnaires
Document extrastatutaire, le pacte d’actionnaires peut être défini comme étant « un accord conclu par une partie ou l’ensemble des actionnaires, en dehors des statuts, par lequel ils cherchent à organiser, le contrôle de la gestion de la société et de la composition de son capital ».
Intérêts
A la différence des statuts qui sont, pour les sociétés usuelles (SA et Sàrl notamment), déposés et publiés dans leur intégralité et de facto opposable aux tiers, le pacte d’actionnaires est un document privé et donc par principe inopposable aux tiers. C’est un contrat soumis aux règles de droit commun, qui doit respecter notamment les lois et règles d’ordre public, les dispositions impératives des statuts et l’intérêt de la société. Ce pacte d’actionnaires tient lieu de loi entre les parties signataires. Sa flexibilité rédactionnelle permettra de faire face à diverses situations et prendre en compte le contexte propre à l’entreprise concernée.
Dans le cadre d’une transmission d’entreprise, recourir à un pacte d’actionnaires présente de nombreux avantages. Il s’applique aux actionnaires/associés qui l’ont signé, a l’avantage de la souplesse, de la confidentialité, a une durée limitée, il permet de régler des questions qui ne figurent pas dans les statuts comme la gouvernance, la cession des titres, les droits financiers et prévoir des sanctions comme des clauses pénales. Cependant, l’exécution forcée ne concernera que certaines clauses, et comme indiqué est inopposables aux actionnaires/associés qui n’en sont pas partis et aux tiers de façon générale. Par principe sa rédaction, son coût et le contentieux relatif sont supérieurs à celui des statuts. A ce titre, il est recommandé en pratique de prévoir la société en tant que signataire pour lui rendre opposable ledit pacte d’actionnaires, sauf des considérations de confidentialité supérieures.
Relation statuts/pacte d’actionnaires
Une fois conclu, il est conseillé de modifier les statuts pour refléter certaines dispositions du pacte d’actionnaires et éviter tout conflit entre ces documents juridiques.
Genèse de la rédaction du pacte d’actionnaires
Le contenu du pacte d’actionnaires varie selon que la transmission de la société se fait (i) à des tiers, qui peuvent avoir une connaissance limitée de la société ou (ii) au management/personnel(s) de la société dans le cadre d’un management buy out.
Préalablement à la rédaction du pacte d’actionnaires, il convient notamment d’identifier (i) les actifs de la société, comme : le savoir-faire, le personnel, les actifs immatériels (brevets, marques…), le matériel (machines), les contrats, les réseaux de distribution, etc. (ii) de se renseigner sur la fiabilité de l’acquéreur potentiel, ou encore (iii) de déterminer les points négociables (processus, périmètre de vente, etc. Une due diligence légale, technique, comptable et fiscale peut être effectuée sur la société à transférer pour connaitre son actif et son passif et identifier les risques. Il est recommandé à ce titre de s’entourer de professionnels compétents en la matière et que vendeur(s)(/acquéreur(s)ai(en)t chacune leur(s) propres conseil(s).
Avant la signature d’un pacte d’actionnaires et de l’échange de toute information stratégique, il est conseillé de signer un accord de confidentialité. Il permet de circonscrire le périmètre de l’obligation de confidentialité qui est par principe une obligation de résultat et s’accorder entre les parties à l’étendre aux tiers pouvant intervenir à cet effet. L’accord de confidentialité identifie les acteurs autorisés à recevoir et communiquer les informations frappées de la confidentialité. En effet, la confidentialité ne se limite pas, en pratique, aux seuls signataires de l’accord mais vise également les tiers (avocats, experts-comptables, personnels ayant un poste clef, etc.) qui peuvent avoir accès à ces informations confidentielles dans le cadre du transfert de société. Cette obligation de confidentialité est fixée pour une certaine durée (notamment post échec des négociations) et la violation d’un tel accord peut se résoudre par des dommages et intérêts.
Négociation du pacte d’actionnaires
Le pacte d’actionnaires gère les relations qui durent dans le temps et permet de prévoir des obligations différées, comme par exemple le paiement d’un prix différé ou des conditions suspensives liées à des autorisations (administrative, anti-trust, de la CSSF). Dans le cas d’une vente avec cohabitation des anciens et des nouveaux dirigeants et/ou actionnaires, il convient de distinguer notamment (i) la problématique des droits de votes et de dividende et (ii) la problématique relative à la direction de l’entreprise, c’est-à-dire lorsque les anciens dirigeants vont rester durant une période déterminée au sein de l’entreprise pour faciliter son transfert, présenter et s’assurer de la fidélité de la clientèle malgré le changement de direction. Dans ce cas, le pacte d’actionnaires aura pour finalité d’organiser la gouvernance conjointe entre anciens et nouveaux dirigeants.
L’objectif lors de la rédaction du pacte d’actionnaires est de conserver les obligations (i) de moyens comme s’assurer que le personnel clef et les clients restent attachés à l’entreprise et les conserver, et (ii) de résultat comme se conformer aux décisions prises par les organes de la société à transférer. Ainsi, un conflit générationnel qui éclaterait pendant la cohabitation (refus d’une nouvelle stratégie par les « anciens », refus d’assister le développement de l’entreprise pour réduire le prix de vente différé par les « nouveaux », etc.) sera réglé rapidement grâce aux dispositions du pacte d’actionnaires.
Clauses liées au prix
La méthode de valorisation de l’entreprise sera en principe définie dans le contrat de vente des actions de la société. Néanmoins le choix des méthodologies aura une influence sur le pacte d’actionnaires. On distingue traditionnellement trois types de méthodes de valorisation. D’abord, la valorisation patrimoniale qui se base sur la valeur bilantaire de l’entreprise (actif moins passif) et que l’on retrouve dans le secteur de l’industrie. Ensuite, la méthode comparative qui compare l’entreprise à des entreprises similaires en termes de secteur d’activité, géographique, de clientèle et que l’on retrouve dans le secteur des services. Enfin, la méthode de flux de trésorerie qui est l’anticipation des revenus futurs que l’on retrouve dans le secteur de certaines startup technologiques et qui permet de valoriser des entreprises à une valeur supérieure à leur valeur patrimoniale. Le choix de la méthode de valorisation dépendra du type d’activité de la société transférée mais aussi des modalités de paiement souhaitées et influera sur la rédaction du pacte d’actionnaires, notamment quant aux modalités de paiement du prix fixé.
Si toutes les actions sont cédées et payées au moment du closing, le pacte d’actionnaires est nécessaire uniquement à condition qu’une cohabitation sur d’autres aspects est envisagée. Par exemple, on peut demander aux anciens dirigeants de rester membres des organes de la société transférée.
Si une partie du prix est payée au closing et une partie du prix est différée , il convient de distinguer deux hypothèses. Premièrement, les actions sont toutes vendues, le prix est fixe et le paiement échelonné, le pacte d’actionnaires permet, par exemple, de régler les garanties de paiements. Deuxièmement, les actions sont vendues de façon échelonnée, le prix est fixe et le paiement intervient lors de la cession de chaque tranche. Le pacte d’actionnaires permet de gérer les relations entre actionnaires, la promesse de céder et celle d’acheter à chaque tranche, les droits de vote, les dividendes et la réévaluation éventuelle du prix des actions au fil du temps
Enfin, si une partie du prix est payée au closing et une partie du prix est différée et calculé sur base des résultats futurs (earn out), le pacte d’actionnaires permet d’organiser la façon dont les vendeurs continuent d’interagir avec l’entreprise et les clients, la méthodologie d’évaluation du complément de prix, le partage des risques structurels (changement de législation, COVID…), les moyens donnés à la société transférée pour remplir ses objectifs financiers.
Sanctions en cas d’inexécution du pacte d’actionnaires
Les obligations de faire ou de ne pas faire inclues dans le pacte d’actionnaires donnent droit à des dommages et intérêts en cas d’inexécution. La résolution pour inexécution des obligations contenues dans le pacte d’actionnaires n’est pas de droit et doit être demandée en justice. Il n’est pas possible de demander l’exécution forcée et la résolution du pacte d’actionnaires. Dans la pratique il est souvent difficile de demander l’exécution forcée notamment pour une obligation de ne pas faire.
Des clauses pénales peuvent être insérées dans le pacte d’actionnaires, même si ces dernières peuvent être réduites par le juge, et ont un caractère dissuasif par rapport aux cocontractants du pacte.
La clause de non-concurrence dans un pacte d’actionnaires est valide. Par contre sa rédaction doit être précise à défaut, la clause risque d’être déclarée nulle.
Conclusion
Dans le cadre d’une transmission d’entreprise, le pacte d’actionnaires est un document essentiel. Il permettra de fixer une ligne de conduite pendant la période transitoire, au niveau financier, politique (votes lors des assemblées générales), mais aussi de trancher un litige générationnel qui éclaterait pendant cette transition. Le pacte d’actionnaires sera par essence l’outil idéal pour régler rapidement une situation conflictuelle et ne pas s’enliser dans un blocage et un conflit judiciaire qui détruiront l’entreprise. L’accompagnement à cette étape des discussions par un avocat aguerri permettra ainsi d’éviter les coûts directs d’un litige, et les coûts induits d’un blocage qui s’éternise dans le temps. Il s’agit donc d’un investissement « en bon père de famille ».